mardi 8 juillet 2014

L’amour n’a pas d’odeur

Il se lave les dents, recrache l’eau mentholée avec vigueur, éclaboussant le miroir.
Quelques bavures de salives et de pâte dentifrice glissent sur la surface. Striant son reflet. Il ricane. Si sa mère voyait cela. Elle en mourrait, pour sûr. Enfin, non, elle s’étranglerait juste un peu.
Pour qu’elle meure, il faudrait davantage. Steeve observe mieux sa tronche, penche la joue, la fait pivoter, scrute le duvet inégal qui la grignote, roux. Il se la caresse avec malice. Écarte ses lèvres. Ses dents sont toujours un peu jaunes - la nicotine - mais se les laver lui donne l’haleine agréée, celle qui fait taire les récriminations suspicieuses de sa mère.
Non…, pour qu’elle crève, il faudrait un acte plus scandaleux. Quelque chose provoquant une telle intensité de répulsion ou pire, de réprobation, que son aorte se déchire sec, ou qu’une artère se disloque dans son cerveau.
Il n’y a jamais vraiment pensé avec autant d’attention qu’aujourd’hui. Son pyjama taille 16 ans, ligné à la mode des Dalton, baille sur une poitrine glabre. Ses pieds trop sagement logés dans des charentaises à pompon (sinon, dit sa mère, il risque d'attaquer la pierre bleue avec sa transpiration).
Alors, il ouvre le tiroir de la lingère. Sort quelques essuies odorants, les étale dans toute la salle de bain. Il s’y soulage et frotte les murs, les meubles avec. Ce n’est pas assez. Bien sûr, il sera banni, mais cela restera une affaire de famille. Dans dix minutes, le réveil qu’elle a déposé devant la porte sonnera. Il aura le droit de sortir, en montrant patte blanche et ongles raz. Il lui reste une dernière carte à jouer.
*
La fenêtre du premier étage est grand ouverte. Les tentures battent la façade dans un rythme alangui. Tout respire l’été mais l’odeur est immonde. En plein quartier bourgeois, écrit en matières fécales sur la façade, Steeve a parachevé son œuvre :
« Tu me fais chier ! ».
Le cortège passe le nez en l’air, ahuri. Le bon fils suit le corbillard, les lèvres humides, les yeux secs et les dents grasses.

3 commentaires:

  1. oh tonnerre, elle est forte - je veux dire : il est fort , celui là !

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  2. Je crois qu'il y a matière à réflexion dans ton texte qui ne fleure pas forcément la rose...

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  3. Je dirais même qu'il y a matière fécale...

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